Par Sœur Teresia Kathure Murungi, Sœur du Bon Pasteur, Directrice du Bureau du développement missionnaire de la Province d’Afrique centrale orientale à Nairobi et membre de la Women Faith Leaders Fellowship (2024-2025).

Le développement humain intégral, thème central de l’enseignement social catholique, nous appelle à envisager le progrès comme le plein épanouissement de chaque personne : social, économique, politique, spirituel et culturel. Comme l’a souligné le pape Paul VI dans Populorum Progressio (Le développement des peuples), un développement authentique doit favoriser la personne dans sa globalité et chaque personne, bien au-delà de la croissance économique. Cette vision résonne profondément avec la mission de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, dont le charisme et les principes mettent l’accent sur la dignité, la réconciliation, la miséricorde, la justice et la compassion.

Pour les Sœurs du Bon Pasteur, le développement n’est pas un cadre abstrait, mais une réalité vécue, exprimée par l’accompagnement quotidien des femmes et des filles en situation de vulnérabilité à travers le monde. Si les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies offrent un cadre mondial précieux, les approches inspirées par la foi insistent sur l'intégration et la plénitude. Elles nous rappellent que la pauvreté, les inégalités entre les sexes, la violence et l'exclusion ne peuvent être abordées isolément, mais doivent être abordées de manière holistique. Les ODD nous offrent un langage commun ; le développement humain intégral, ancré dans la foi, nous donne une âme.

Au-delà des résultats matériels : Leçons de l'expérience

Dans le comté de Kajiado, au Kenya, j'ai rencontré des jeunes femmes qui avaient quitté l'école en raison d'un mariage précoce, de pratiques culturelles rétrogrades ou de difficultés économiques. Leurs besoins matériels étaient clairs : formation professionnelle, création de revenus et accès à l'éducation. Pourtant, ce qui m'a le plus frappée, c'est leur perte d’estime d’elles-mêmes. Nombre d'entre elles portaient les blessures invisibles du rejet et du silence.

En réponse, les programmes du Bon Pasteur ont combiné : formation professionnelle, accompagnement psychologique, dialogue de groupe et accompagnement spirituel. Cette intégration reflétait le principe du Bon Pasteur de restauration de la dignité et de plein développement de la personne, tel qu'affirmé dans les Documents de Positionnement de la Congrégation (2018). Au fil du temps, la transformation est devenue évidente : une jeune femme, autrefois timide et réservée, s’est présentée devant ses pairs et a déclaré. "Je crois maintenant que je peux être une leader.'' Son autonomisation n’était pas seulement économique, mais aussi personnelle, sociale et spirituelle.

De telles histoires nous rappellent que la véritable autonomisation commence par l’affirmation de la dignité humaine. Le progrès matériel est important, mais sans renouveau intérieur, il reste incomplet. Le développement humain intégral exige que nous considérions les femmes non pas comme des problèmes à résoudre, mais comme des personnes dotées d’une valeur intrinsèque et d’un potentiel de leadership.

Le rôle distinctif des acteurs religieux

Les institutions religieuses occupent souvent un espace de confiance unique au sein des communautés. Les sœurs, grâce à leur présence de longue date, peuvent atteindre celles et ceux que les systèmes formels négligent ou marginalisent. Cette confiance permet d’aborder des questions sensibles telles que le mariage des enfants, les violences sexistes et la Traite des êtres humains, domaines où les approches purement techniques sont souvent inefficaces.

En Ouganda, nous accompagnons des femmes qui ont survécu à la Traite des êtres humains. Si le sauvetage, l’hébergement et la formation professionnelle sont essentiels, ils ne suffisent pas à guérir. Ce qui soutient de nombreux survivants, c'est la présence compatissante de sœurs qui les écoutent, prient et cheminent patiemment avec eux. Une femme a confié, ''Je suis guérie non pas grâce aux leçons et au soutien psychosocial du groupe, mais parce que, pour la première fois, je me suis sentie considérée comme une personne.”

Cela illustre un principe clé du Bon Pasteur : la mission est présence. La transformation se produit souvent moins par des interventions structurées que par le don de l'accompagnement, ancré dans la miséricorde et la compassion. Les acteurs religieux apportent un capital relationnel et une crédibilité morale qui vont au-delà des cycles de projet. Ces qualités sont difficiles à quantifier, mais elles sont fondamentales pour un changement durable.

Lier le développement humain intégral et les ODD

Les ODD mobilisent des ressources et une responsabilisation mondiales, mais dans la pratique, ils sont souvent poursuivis de manière cloisonnée. Les approches inspirées par la foi résistent à cette fragmentation, reflétant l'interdépendance de la vie humaine. Le pape François, dans Laudato Si' (Loué sois-tu), nous rappelle que les Laudato Si’ (Loué sois-tu), nous rappelle que les dimensions sociales, économiques et écologiques de la dignité humaine sont indissociables et doivent être abordées ensemble.

À Kitale, au Kenya, les Sœurs du Bon Pasteur travaillent avec des agricultrices rurales. En apparence, cette initiative améliore les rendements agricoles et réduit la faim. Plus : elle améliore également la nutrition des familles, renforce la confiance des femmes, favorise la solidarité et permet de défendre les droits fonciers. En termes d'ODD, cela rejoint l'Objectif Faim Zéro (ODD 2), l'Égalité des sexes (ODD 5) et la Paix et la Justice (ODD 16). En termes de foi, elle reflète la justice, la dignité et l'autonomisation.

En reliant le global au local, le technique au spirituel, les initiatives inspirées par la foi préviennent la fragmentation. Elles garantissent qu'aucun aspect de l'épanouissement humain ne soit néglkigé.

Le leadership spirituel comme source d'autonomisation

L'autonomisation a des dimensions externes et internes. L'autonomisation externe donne accès aux ressources, à l'éducation et aux opportunités. L'autonomisation interne favorise la résilience, l'estime de soi et le sentiment d'une vocation.

Dans de nombreux villages ruraux, les sœurs rassemblent les femmes pour prier, raconter des histoires et réfléchir. À première vue, ces rassemblements semblent modestes. Pourtant ils sont transformateurs. Des femmes qui se considéraient autrefois comme impuissantes commencent à revendiquer des rôles de leaders au sein de leurs familles et de leurs communautés.

Le principe de la Congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur selon lequel ''une personne vaut mieux qu’un monde'' une personne vaut mieux qu’un monde » anime ce travail. Le leadership spirituel n'est pas une question de domination, mais d'accompagnement, d'éveil et de solidarité. Chaque rencontre, aussi ordinaire soit-elle, est une occasion d'affirmer sa valeur et d'inspirer la capacité d'agir. De tels moments révèlent l'autonomisation non pas comme un résultat de projet, mais comme une expérience vécue de dignité et d'espoir.

Réflexions et enseignements

De ces expériences émergent plusieurs perspectives qui pourraient guider des modèles de progrès plus inclusifs :

• L'autonomisation holistique est essentielle. Sans guérison psychosociale ni croissance spirituelle, le soutien économique reste fragile.

• La dignité humaine est le fondement. Toute initiative doit commencer par la reconnaissance de la valeur intrinsèque de chaque personne.

• La présence est transformatrice. L'accompagnement, l'écoute et la solidarité peuvent avoir autant d'impact que les interventions techniques.

• L'intégration évite la fragmentation. Les approches inspirées par la foi aident à relier les ODD aux réalités vécues, garantissant qu'aucune dimension de la vie ne soit négligée.

• Les femmes, actrices du changement. L'autonomisation des femmes et des filles génère des répercussions qui transforment les familles, les communautés et les sociétés.

Conclusion

Le développement humain intégral nous met au défi de repenser le progrès non seulement comme la réalisation d'objectifs, mais aussi comme la promotion de l'épanouissement holistique de chaque personne. La mission des Sœurs du Bon Pasteur démontre que l'autonomisation est autant une question d'être que d'agir : être présent, faire preuve de compassion et d'espoir.

L'autonomisation des femmes et des filles n'est pas seulement un objectif de développement mais aussi un impératif spirituel et moral. Lorsque leur dignité est respectée, leurs voix amplifiées et leur leadership encouragé, la transformation rayonne, les familles se stabilisent, les communautés se renforcent et les sociétés se rapprochent de la justice et de la paix.

En reliant les cadres mondiaux comme les ODD aux réalités locales de la foi et de la communauté, les acteurs religieux apportent une contribution indispensable : une vision du progrès inclusive, intégrale et transformatrice. Cette vision garantit que le développement ne se limite pas aux gains matériels, mais vise l’épanouissement de la personne dans sa globalité : sociale, économique, politique, spirituelle et culturelle.

Publié initialement dans le Berkley Forum le 26 septembre 2025, dans le cadre des approches de développement inspirées par la foi qui autonomisent les femmes et les filles. Consulter ici.